- Léah Delrieux
- 7 janv. 2022
- 2 min de lecture
I

L enroule sa rallonge. Il a fini sa journée, il va repartir dans sa Ford Escort, vers une rue sombre aux volets jaunes.
ELLES sont rangées par couleurs, des fleurs en multitude, des jacinthes, des giroflées. À côté, des potirons. Je me dis que tout ça attirera les vers à soie.
NOUS devons rentrer à l'heure ! nous allons être à la bourre ! nous n'aurons plus de pain !
ILS ont tous des t-shirts avec un aigle sur le dos. Ils sont roux, ils ont des écharpes oranges et les cheveux gominés.
JE suis furieux. Le train a trois heures de retard. Que faire ? j'arpente les quais, les salles d'attente, les guichets. J'entends les talons hauts des femmes. J'ai chaud avec ce manteau noir.
TU es assise sur un banc, tu portes une djellabah bleue, une casquette et une main de Fatma. Tu es belle, tu dégages un délicat parfum de jacinthe.
Ah ! L'AUTRE, là, avec ses cheveux blancs tout lisses, bouclés en bas. Il ressemble à Louis Pasteur.
VOUS avez beau être un monsieur très smart, vous m'avez bousculé dans la file d'attente.
ELLE trimballe un panier à linge dans une poussette. Elle s'arrête devant la pub « Soldes à l'électro-ménager »
ELLE est devant l'affiche des soldes. Ça fait dix minutes qu'elle est là, comme pétrifiée. Son regard est vide.
NOUS avons vu des jambes dans le camion ! Plus vite, il faut que nous rentrions !
ILS ont posé leurs t-shirts, le devant par terre. Ils regardent les aigles.
VOUS n'êtes plus à votre taille. Vous avez rapetissé, il me semble. Vous êtes de moins en moins smart.
J'ai de plus en plus chaud. Pourtant, j'ai laissé mon manteau sur un banc. Le bruit des talons martèle ma tête, de plus en plus fort.
TU lèves la tête. Ton parfum s'intensifie, on peut le respirer à dix mètres de toi. Tu serres nerveusement ta main de Fatma.
IL est dans sa voiture. Il regarde la rue sombre aux volets jaunes. Il ne peut pas démarrer.
ELLES ont grandi au moins de cinquante centimètres en quelques minutes, toutes ces fleurs ! Et elles ont une drôle de tête avec toutes ces bestioles verdâtres… comment déjà ? le bombyx du mûrier ?
Qu'est-ce qu'il crie, L'AUTRE ? Qu'il a travaillé dans le charbon ? Il arrête pas de répéter ça.
TU me bouscules, tu ne portes plus qu'une écharpe orange, tu n'arrêtes pas de répéter « Bon Lucette à demain ! »
Ah L'AUTRE ! le voilà tout encocoonné par les vers à soie ! un vrai potiron !
IL est sur la poussette, dans le panier à linge. Ses cheveux sont gominés. Quelqu'un l'appelle « Monsieur Louis Pasteur ! »
ELLES ont disparu, toutes ces jolies fleurs. Ce n'est plus qu'un amas grouillant de chenilles qui grandit, grandit…
JE me suis déshabillé, pourtant j'ai de plus en plus chaud. Je répands une horrible odeur de jacinthes pourries. J'ai une rallonge autour du cou.
ILS s'envolent ! tous les aigles s'envolent !
VOUS avez une tête d'aigle. Je vois briller la main de Fatma autour de votre cou. Vous répétez sans cesse « c'est très smart, il y a des soldes à l'électro-ménager »
NOUS sommes repartis aussi vite que possible dans la Ford Escort ! Nous avons perdu Lucette !
Depuis la fenêtre aux volets jaunes, vêtue de la djellabah bleue, ELLE regarde la gare déserte
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